Intervention du docteur Delhon (médecin du travail)

Docteur Marie-HélèneDELHON

Texte écrit pour la conférence de presse du 24 février 2011

J’ai été le médecin du travail de la Mairie de Béziers pendant 24 ans, de 1981 à 2004. J’ai suivi Jean-Michel Rieux durant toute sa carrière à la Mairie, de novembre 1994 à février 2003.

Madame et Monsieur Rieux ont fait une déclaration de Maladie professionnelle. Dans ce cas-là, le médecin est délivré du secret médical, ce qui me permet de m’exprimer. J’ai l’intime conviction que la pathologie qui a conduit Jean-Michel Rieux au suicide altruiste est d’origine professionnelle. Les médecins qui ont étudié ce dossier sont du même avis. Pourtant, Monsieur le Maire a refusé la reconnaissance de Maladie Professionnelle.

Je suis là auprès de Madame et Monsieur Rieux car je pense que leur cause est juste : il y a, dans la genèse de ce drame, tellement de faits imbriqués que seul un procès pourrait aider à comprendre leur enchaînement et les responsabilités de chacun.

Je suis là car ce je que j’ai écrit a été soit ignoré soit mal interprété : j’ai pu le constater à la lecture des deux non-lieux.

J’ai commencé à alerter l’Administration sur le mal-être au travail de Jean-Michel Rieux en mars 2001, soit 23 mois avant le drame (presque deux ans). J’ai dû l’adresser à un confrère psychiatre pour que ce dernier l’aide à moins souffrir de son contexte professionnel. Les termes que j’ai employés pour la hiérarchie sont sans équivoque :

Par exemple, en janvier 2002, soit 13 mois avant le drame (plus d’un an avant), j’écrivais : « Jean-Michel Rieux continue à éprouver un malaise en rapport avec son contexte professionnel et je crains que sa santé ne s’en altère sérieusement. » ; en octobre 2002, j’écrivais : « Les incidents semblent se multiplier sur le lieu de travail et un changement de Service me paraît de plus en plus urgent. »

Que reste-t-il de mon dossier médical dans le non-lieu de janvier 2009 ? Je cite :

« Le Docteur DELHON… a bien noté le 28 mars 2001 « se sent HM » ( Harcelé Moralement ) : mais elle n’a pas pour autant pointé de fait précis permettant de changer ce ressenti en réalité. »

Un dossier médical du travail est forcément succinct. Si j’avais été entendue par la juge, j’aurais pu détailler pour elle les faits précis qu’elle n’y a pas trouvés. Je les avais d’ailleurs récapitulés, en mars 2007, dans un certificat médical favorable à la reconnaissance d’une maladie professionnelle ; mais ce certificat fait partie des pièces qui n’ont pas été examiné avant ce premier non-lieu.

Je cite encore le non-lieu de janvier 2009 :

« Au sujet de la mutation à la déchetterie… La décision s’appuie notamment sur l’avis du Docteur DELHON, laquelle avait insisté sur la nécessité d’un changement de service… »

Or, quand l’Administration a enfin décidé, 20 mois après mes première alertes (donc, presque deux ans après), de changer Jean-Michel Rieux de Service, elle ne m’a pas demandé mon avis sur le poste choisi et elle a tout fait pour que Jean-Michel Rieux intègre la déchetterie un samedi, sans même avoir demandé au médecin du travail s’il était apte à ce poste.

J’en ai conclu que mon dossier médical n’avait pas été compris. Pour qu’il devienne compréhensible, j’ai alors écrit une longue lettre à Madame et Monsieur Rieux afin de rendre évidentes les infractions à la législation du travail qu’il révélait. Comme je le précisais dans ce courrier, je ne voulais pas être complice d’une erreur judiciaire en acceptant que mon dossier médical soit mal interprété.

Madame et Monsieur Rieux ont produit cette longue lettre à l’appui de leur nouveau mémoire, mais lorsque j’ai pris connaissance du non–lieu de décembre 2010, j’ai pu constater que ces explications n’avaient servi à rien, que mon dossier n’avait pas été mieux compris et qu’il avait encore été interprété. Je cite :

« Le médecin du travail a néanmoins dès le 3 janvier 2002 et à plusieurs reprises au cours de l’année 2002 préconisé un changement d’affectation de Jean-Michel Rieux en raison de son mal-être dans le service des espaces verts et de ses difficultés relationnelles. »

Or, je n’ai jamais écrit que Jean-Michel Rieux avait des difficultés relationnelles. Cette affirmation mensongère laisse croire que je cautionne la thèse selon laquelle les problèmes rencontrés par Jean-Michel Rieux avaient pour origine son propre comportement. Je cite encore le non-lieu de décembre 2010 :

« … les avertissements réitérés du médecin du travail ont été pris au sérieux par la hiérarchie… »

Or, mes multiples avertissements écrits (sept ou huit) n’ont été suivis d’effet qu’au bout de vingt mois ; et la décision de changement qui a été prise alors, sans mon avis, était la pire qui soit, sur un site où les conflits avec les usagers étaient monnaie courante et où il fallait s’apprêter à vivre des situations difficiles. Je cite encore le non-lieu de décembre 2010:

« Les troubles psychologiques avérés que Jean-Michel Rieux a développés au cours de l’année 2002 et au début de l’année 2003 trouvent leur origine dans des facteurs personnels… »

Or, j’ai écrit qu’il n’y avait pas de pathologie antérieure et que la pathologie développée était bien d’origine professionnelle ; d’autres médecins, qu’ils soient médecins traitants ou experts, l’ont écrit aussi. Aucun médecin, à ma connaissance, n’a écrit le contraire. Pourtant, le non-lieu de décembre 2010 est fondé sur l’affirmation, sans aucune preuve médicale, que la pathologie développée est due à des facteurs personnels et non professionnels.

Au déni de justice, s’ajoute un déni de Santé au Travail (la médecine du Travail s’appelle maintenant la Santé au Travail). Il faut que les médecins du travail soient écoutés dans les entreprises et que leurs interventions ne soient pas vécues par les employeurs comme des contre-pouvoirs insupportables.

Et il ne faut pas que la justice évacue l’origine professionnelle de ce drame pour en faire un drame d’origine exclusivement privée.

Je suis donc là pour Jean-Michel Rieux et pour sa famille qui ont droit à un procès équitable, pour la justice qui doit être juste et pour la Santé au Travail qui doit être reconnue et respectée.